Tendances et Actualité

Réseaux sociaux décentralisés : définition, chiffres-clés et perspectives

Et si la prochaine révolution des médias sociaux passait par la décentralisation ? Depuis quelques années, de nouvelles plateformes comme Mastodon ou BlueSky font parler d’elles en proposant une alternative aux géants traditionnels que sont Facebook, Twitter (désormais X) ou Instagram. Dans cet article de blog pédagogique et accessible, nous allons expliquer ce que sont les réseaux sociaux décentralisés, examiner en détail leur croissance à travers des chiffres actualisés, comparer ces plateformes décentralisées aux réseaux sociaux classiques, analyser pourquoi les « super-apps » n’ont pas trouvé leur public en Occident, et discuter des perspectives d’avenir de ces nouvelles formes de réseaux. Accrochez-vous: même si le sujet peut sembler technique, nous le vulgariserons pas à pas pour que chacun puisse comprendre les enjeux, le tout sur un ton dynamique et clair.

    Qu’est-ce qu’un réseau social décentralisé ?

    Commençons par la base : qu’entend-on par “réseau social décentralisé” ? Contrairement aux réseaux sociaux classiques (centralisés) – tels que Facebook, Instagram, Twitter – qui sont contrôlés par une seule entreprise sur des serveurs centralisés, un réseau social décentralisé est hébergé sur une multitude de serveurs indépendants. Chaque serveur (appelé souvent instance dans le cas de Mastodon par exemple) est géré par une communauté ou un administrateur distinct, avec ses propres règles. Pourtant, tous ces serveurs peuvent communiquer entre eux grâce à des protocoles communs.

    En d’autres termes, aucune entité unique ne contrôle l’ensemble du réseau. C’est un peu le même principe que le courrier électronique : vous pouvez avoir une adresse Gmail et envoyer un mail à quelqu’un qui utilise Yahoo ou Outlook. Chaque serveur de mail est indépendant, mais ils parlent le même langage (le protocole email) pour s’échanger des messages. De même, sur un réseau social décentralisé, avoir son compte sur une instance Mastodon (par exemple mastodon.social ou mamot.fr) n’empêche pas de suivre et d’interagir avec un utilisateur inscrit sur une autre instance. Cette fédération d’instances forme ce qu’on appelle parfois le Fediverse (pour “univers fédéré”), un écosystème de réseaux sociaux interconnectés.

    Concrètement, cela signifie plus de liberté et de contrôle pour les utilisateurs. Chacun peut choisir une instance en accord avec ses préférences (modération stricte ou permissive, thématique particulière, langue, etc.), voire créer son propre serveur. Le code étant souvent open source (ouvert), des développeurs du monde entier peuvent contribuer aux améliorations. En somme, c’est une approche plus communautaire et démocratique du réseau social, à l’opposé du modèle centralisé où toutes vos données et votre expérience dépendent d’une seule entreprise.

    L’essor des plateformes décentralisées en quelques chiffres

    Après le rachat de Twitter par Elon Musk en octobre 2022 et les polémiques qui ont suivi, de nombreux utilisateurs ont cherché des alternatives. Cette quête a propulsé plusieurs réseaux décentralisés sur le devant de la scène. Regardons de plus près les chiffres de croissance des principales plateformes pour mesurer l’ampleur du phénomène.

    Mastodon : la vague post-Twitter

    Exemple de l’interface de Mastodon sur mobile, un réseau social décentralisé emblématique de la fédération « Fediverse ».

    Mastodont sur Téléphone

    Mastodon est l’un des pionniers des réseaux sociaux décentralisés modernes. Lancé en 2016 par Eugen Rochko, ce réseau de microblogging (semblable à Twitter dans son usage) a connu une croissance modérée pendant ses premières années… jusqu’à l’« effet Musk ». Fin 2022, lorsque Twitter a été secoué par de profonds changements, Mastodon a vu un afflux massif d’inscriptions. En l’espace d’un mois après la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk, le nombre d’utilisateurs enregistrés sur Mastodon est passé de 3,6 millions à 5,4 millions, puis a continué de grimper pour atteindre 8,7 millions d’inscrits​ en décembre 2022. Cette croissance fulgurante s’est accompagnée d’un pic d’activité sans précédent : Mastodon a franchi le cap des 2,6 millions d’utilisateurs actifs mensuels fin 2022, soit une multiplication par huit de son audience en un mois environ.

    Cependant, qui dit engouement soudain dit parfois retombée. Tout le monde n’est pas resté actif sur Mastodon une fois la curiosité passée. Après le pic initial, l’audience active a diminué au cours du printemps 2023, redescendant à environ 1,2 million d’utilisateurs actifs mensuels en avril 2023​. Cette baisse ne signifie pas un abandon total, mais plutôt un retour à un niveau plus stable après la « vague » post-Twitter. Par la suite, le réseau s’est maintenu et a même connu d’autres périodes de croissance lors des soubresauts de Twitter (renommé X à l’été 2023). Par exemple, lors du rebranding de Twitter en “X” en juillet 2023, Mastodon a de nouveau vu son activité monter à 2,1 millions d’utilisateurs actifs avant de se stabiliser autour de 1,7 million fin 2023​.

    En termes d’inscriptions totales, Mastodon continue de gagner progressivement des utilisateurs. Mi-2023, il comptait environ 7,7 millions d’utilisateurs inscrits​. Désormais, on estime qu’il dépasse largement les 10 millions de comptes créés, voire plus (certains indicateurs non officiels début 2025 mentionnent environ 15 millions de comptes au total). Néanmoins, tout comme sur les réseaux classiques, le nombre d’inscrits ne signifie pas que tout le monde est actif tous les jours. On le voit, Mastodon possède aujourd’hui une base solide d’utilisateurs réguliers de l’ordre du million ou deux, ce qui est à la fois significatif (pour une plateforme autrefois confidentielle) et encore modeste face aux mastodontes (sans mauvais jeu de mot) que sont Twitter ou Facebook.

    BlueSky : l’étoile montante soutenue par Jack Dorsey

    Aperçu de l’application mobile BlueSky, dont l’interface rappelle fortement celle de Twitter (X), facilitant la prise en main des nouveaux utilisateurs.

    Bluesky sur téléphone

    BlueSky est une autre plateforme décentralisée qui a beaucoup fait parler d’elle, en grande partie parce qu’elle est soutenue par Jack Dorsey, le cofondateur et ex-PDG de Twitter. BlueSky se présente comme un réseau de microblogging très proche de l’expérience Twitter, construit sur sa propre technologie de décentralisation (le protocole “AT Protocol”). Lancé en 2023 en version bêta sur invitation, BlueSky a d’abord progressé lentement à cause de son accès restreint. Par exemple, vers juillet 2023, on ne comptait qu’environ 265 000 utilisateurs inscrits sur BlueSky​, et la plateforme gérait une liste d’attente de près de 2 millions de personnes espérant une invitation. Autant dire qu’on était loin des chiffres de Mastodon à la même époque, et a fortiori de Twitter.

    Cependant, BlueSky a connu à son tour une croissance explosive en fin d’année 2024. Profitant d’un certain ras-le-bol de nombre d’internautes vis-à-vis de X/Twitter et de la curiosité pour les alternatives, BlueSky a ouvert de plus en plus grand les vannes des invitations. Les chiffres donnent le vertige : l’audience est passée d’environ 5 millions d’utilisateurs en mars 2024 à 13 millions fin octobre 2024, puis 20 millions à la mi-novembre, et 25 millions en décembre 2024​. Et la lancée s’est poursuivie début 2025. À la faveur de l’actualité (beaucoup d’utilisateurs de Twitter frustrés migrent, et des personnalités connues s’inscrivent), BlueSky a dépassé les 35 millions d’utilisateurs inscrits en avril 2025​. Par exemple, la députée américaine Alexandria Ocasio-Cortez est devenue la première personne à atteindre plus d’un million d’abonnés sur BlueSky, signe que l’adoption s’accélère et que de véritables communautés se forment sur cette plateforme.

    Ces chiffres impressionnants sont à prendre avec recul : BlueSky étant encore relativement nouveau et en évolution, il faudra voir si ces millions d’inscrits restent actifs sur la durée ou s’il s’agit en partie d’inscriptions par curiosité. Néanmoins, ils montrent qu’en peu de temps, BlueSky a su attirer une masse d’utilisateurs considérable, possiblement davantage en 2025 que Mastodon, ce qui est remarquable compte tenu de son démarrage plus tardif.

    Un écosystème encore modeste par rapport aux géants

    Malgré ces belles progressions, il est important de noter que l’ensemble de ces plateformes décentralisées reste modeste face aux géants des réseaux sociaux traditionnels. Par exemple, Twitter/X tournait autour de 250 millions d’utilisateurs actifs quotidiens en 2023​(et revendiquait environ 570 millions d’actifs mensuels cette année-là). Facebook compte plus de 2 milliards d’utilisateurs actifs mensuels, Instagram et TikTok plus d’un milliard chacun. À côté, Mastodon avec ~1 million d’actifs mensuels et BlueSky, même avec quelques millions d’actifs en 2024, font figure de petites communautés de niche. Aucune de ces plateformes alternatives, prise individuellement, n’a encore atteint la masse critique pour rivaliser en taille avec un Twitter ou un Facebook.

    C’est là que se pose la question de la fragmentation des usages : au lieu qu’une seule alternative capte tout le monde, les utilisateurs fâchés avec Twitter se sont éparpillés sur plusieurs réseaux décentralisés concurrents (Mastodon, BlueSky, mais aussi d’autres comme Truth Social ou T2 pour certains publics spécifiques). Par exemple, mi-2023, Mastodon et BlueSky combinés n’atteignaient même pas 2 millions d’utilisateurs actifs, alors que Twitter en comptait plus de 200 millions sur la même période​. Résultat : les échanges et les communautés sont dispersés sur différents réseaux, et aucun n’a encore réussi à fédérer tous les “réfugiés” de Twitter en un seul endroit.

    Cette fragmentation a des avantages et des inconvénients. Côté positif, elle offre un éventail de choix : chacun peut trouver la plateforme ou l’instance qui lui convient le mieux, et même naviguer entre plusieurs réseaux selon ses centres d’intérêt. Côté négatif, l’absence d’un réseau unique rassemblant tout le monde peut donner l’impression d’une dispersion – vos amis ou les comptes que vous suiviez sur Twitter ne se retrouveront pas nécessairement au même endroit que vous, ce qui peut être déroutant. Par exemple, certains journalistes ou créateurs de contenu ont créé un compte sur Mastodon et sur BlueSky (et parfois sur Threads de Meta), afin de ne pas perdre contact avec différentes audiences. Pour les utilisateurs, suivre l’actualité implique potentiellement de surveiller plusieurs applications au lieu d’une seule auparavant.

    En résumé, l’écosystème décentralisé est en plein essor, mais morcelé. Mastodon, BlueSky et consorts expérimentent une autre manière de faire du réseau social, avec une croissance réelle et un engouement certain, sans pour autant atteindre (du moins pas encore) l’universalité des plateformes historiques. Cela pose naturellement la question : comment ces réseaux décentralisés se positionnent-ils face aux réseaux centralisés traditionnels ? C’est ce que nous allons voir dans la section suivante.

    Réseaux décentralisés vs. réseaux sociaux traditionnels : quel contraste ?

    Il est instructif de comparer les réseaux décentralisés aux réseaux sociaux classiques pour comprendre leurs différences fondamentales. Voici un résumé des points clés qui distinguent ces deux approches :

    • Contrôle et gouvernance : Dans un réseau décentralisé, il n’y a pas d’entreprise unique aux commandes. Chaque instance est administrée indépendamment, souvent par des bénévoles ou des associations, et le code est open source. À l’inverse, un Facebook, un Instagram ou un X sont la propriété de grandes entreprises privées qui dictent les règles d’utilisation et contrôlent l’infrastructure technique.
    • Modération du contenu : Sur les plateformes décentralisées, la modération est généralement communautaire et locale. Chaque serveur applique ses propres règles (certains peuvent être très stricts sur le harcèlement ou les contenus NSFW, d’autres plus laxistes), et les administrateurs peuvent bloquer d’autres serveurs s’ils ne souhaitent pas fédérer avec eux. Sur les réseaux centralisés, la modération est centralisée au niveau de l’entreprise : des équipes (parfois réduites) appliquent une politique globale, ce qui a été critiqué tantôt pour sa sévérité, tantôt pour son laxisme selon les cas. L’approche décentralisée permet ainsi d’avoir des communautés aux normes variées, mais peut souffrir d’un manque de moyens à grande échelle (chaque petite instance n’a pas forcément les outils d’IA de Facebook pour filtrer les contenus problématiques).
    • Algorithmes et visibilité : Les réseaux sociaux traditionnels s’appuient fortement sur des algorithmes de recommandation qui filtrent et mettent en avant le contenu (souvent pour maximiser l’engagement ou les revenus publicitaires). Cela peut donner à l’utilisateur une expérience “sur-mesure” mais aussi créer des bulles de filtre et privilégier les contenus polémiques ou viraux. À l’inverse, la plupart des applications décentralisées comme Mastodon proposent par défaut un fil chronologique non algorithmique (ou très peu) et privilégient la découverte par hashtags ou par centre d’intérêt sans optimisation cachée. La viralité y est plus organique et souvent moindre : par exemple, sur Mastodon, il n’y a pas de retweets amplifiés par un algorithme, ce qui limite les buzz mais offre une expérience plus sereine pour beaucoup d’utilisateurs​.
    • Modèle économique et données personnelles : La majorité des réseaux décentralisés n’ont pas (encore) de modèle économique axé sur la publicité. Mastodon, par exemple, fonctionne sous forme d’association à but non lucratif financée par les dons de ses utilisateurs​. Pas de publicité ciblée ni de vente de données personnelles à grande échelle – ce qui plaît à ceux qui se soucient de leur vie privée. Au contraire, Facebook, Instagram, TikTok et consorts sont gratuits d’usage, mais monétisent l’attention des utilisateurs via la pub et l’exploitation de données. Cela influence évidemment la philosophie du produit : pas de course effrénée à l’engagement sur Mastodon, pas de sponsorisations invasives dans votre fil, mais des moyens plus limités pour financer le développement des plateformes décentralisées.
    • Expérience utilisateur et fonctionnalités : Sur le plan purement fonctionnel, les réseaux décentralisés tendent à reproduire une large partie des fonctionnalités de leurs homologues centralisés (publication de messages, de photos/vidéos, suivis/abonnés, etc.), mais avec parfois un décalage. Par exemple, l’interface de BlueSky est très proche de Twitter, ce qui rend la transition facile. Mastodon offre une expérience similaire à Twitter aussi (limite de caractères, mentions, hashtags), bien que certaines fonctions manquent (recherche plein texte de contenus, fonctionnalités avancées d’édition, etc.). Les applications étant développées de façon ouverte, les nouveautés peuvent dépendre du bon vouloir de la communauté ou de décisions fédérées, ce qui peut prendre du temps. En résumé, les plateformes décentralisées tendent à privilégier la stabilité et la communauté sur l’ajout rapide de gadgets, tandis que les grands réseaux innovent vite mais au service de leurs objectifs commerciaux.

    En somme, réseaux décentralisés et réseaux traditionnels représentent deux philosophies : l’une met l’accent sur la communauté, la transparence, la liberté de choix (quitte à perdre en taille critique ou en simplicité), l’autre sur l’universalité, la commodité centralisée et la monétisation (au risque de la concentration du pouvoir et des dérives que cela implique). Les deux modèles coexistent désormais, chacun avec ses forces et faiblesses, et il n’est pas impossible qu’ils finissent par se rapprocher (par exemple si des réseaux centralisés adoptent des protocoles ouverts, ou si les réseaux décentralisés gagnent en ergonomie).

    L’échec des super-apps en Occident : un contexte différent

    On ne peut pas évoquer l’essor de ces plateformes alternatives sans parler d’un phénomène inverse qui a lieu en parallèle : la tentative de certains géants de devenir des « super-apps » occidentales, et leur échec relatif jusqu’à présent. Qu’est-ce qu’une super-app ? C’est une application unique qui agrège de nombreux services autrefois séparés (messagerie, réseau social, paiement, commerce, services divers…). Le modèle emblématique est WeChat en Chine, qui intègre quasiment toute la vie numérique quotidienne des utilisateurs chinois. WeChat compte plus d’1,3 milliard d’utilisateurs actifs mensuels​ et permet de tout faire : discuter, payer ses factures, commander un taxi, prendre rendez-vous chez le médecin, poster des photos, etc. Un couteau-suisse numérique incontournable en Asie.

    En Occident, malgré plusieurs tentatives, aucune application n’a réussi à atteindre un tel niveau d’omniprésence. Par exemple, Facebook a longtemps rêvé d’être cette super-app : il a intégré Messenger, Marketplace (petites annonces), des boutiques e-commerce, des jeux, voire lancé sa cryptomonnaie (Libra puis Diem, abandonnée depuis). Snapchat a essayé d’ajouter des mini-applications et des partenariats pour réserver des Uber ou commander de la nourriture. Plus récemment, Elon Musk a renommé Twitter en “X” en 2023 avec l’idée affichée de transformer la plateforme en « application à tout faire » inspirée de WeChat – intégrant possiblement paiements, shopping, services financiers en plus des fonctions sociales. Malgré ces ambitions, le public occidental n’a pas vraiment suivi.

    Plusieurs raisons expliquent l’échec des super-apps en Occident :

    • Des habitudes différentes : Historiquement, les utilisateurs en Europe ou en Amérique préfèrent utiliser plusieurs applications spécialisées plutôt qu’une seule pour tout. On va utiliser WhatsApp ou Telegram pour la messagerie, Uber pour commander un véhicule, Amazon pour le shopping, Instagram pour partager des photos, etc. Chaque service excelle dans son domaine, et regrouper le tout n’apparaît pas forcément comme un besoin. Au contraire, en Chine, WeChat a profité d’un écosystème différent, où partir de l’app de messagerie pour ajouter d’autres services était naturel (et où la concurrence des apps étrangères était limitée pour des raisons réglementaires).
    • Concurrence et réglementation : En Occident, il est difficile pour une seule entreprise d’avoir le monopole de tous les usages sans attirer l’attention des régulateurs. Les lois antitrust et la défiance envers les monopoles freinent la constitution d’un empire type WeChat. Par exemple, si Meta commençait à dominer les paiements, l’e-commerce et les transports via Facebook, nul doute que les autorités y verraient un risque. De plus, aucune entreprise n’a pu à elle seule réunir autant de services de façon convaincante : les partenariats ou acquisitions nécessaires se heurtent à la concurrence (il y aura toujours un équivalent préféré par certains usagers).
    • Question de confiance et de vie privée : Confier toutes ses données et activités à une seule application peut effrayer. Déjà que ces dernières années, les scandales sur la vie privée (Cambridge Analytica chez Facebook, etc.) ont rendu le public méfiant, l’idée d’une super-app tentaculaire centralisant nos messages, nos paiements bancaires, nos commandes et nos déplacements fait tiquer de nombreux Occidentaux. La fragmentation des services, finalement, offre aussi une certaine sécurité : on ne met pas tous ses œufs dans le même panier numérique.
    • Culture de l’innovation ouverte : L’approche du web occidentale a favorisé une myriade de startups et d’applications innovantes, chacune sur un segment précis, plutôt que la construction d’un silo unique. Cette diversité fait qu’il est difficile d’embarquer tout le monde dans une seule app. Même Musk, avec X, a du mal à convaincre que Twitter (initialement juste du microblogging) devienne soudain votre portefeuille financier et votre annuaire de services. Beaucoup d’utilisateurs restent sceptiques ou attendent de voir.

    En conséquence, pendant que certaines grandes entreprises cherchaient à consolider les usages (sans y parvenir pleinement), le mouvement inverse – la décentralisation des réseaux sociaux – gagnait l’intérêt du public. L’échec des super-apps en Occident et la montée des réseaux décentralisés partagent au fond un point commun : ils reflètent une volonté de changer le statu quo des réseaux sociaux traditionnels. L’un en poussant à l’extrême la centralisation (tout dans une app), l’autre en la refusant (donner le pouvoir aux communautés distribuées). À ce jour, aucune super-app occidentale n’a conquis le marché, tandis que les réseaux décentralisés commencent tout juste à s’y faire une place. La suite nous dira lequel de ces deux mouvements aura le plus d’impact, mais il est intéressant de voir que les utilisateurs semblent plus enclins à essayer la décentralisation que de plonger dans une énième méga-app centralisatrice.

    Conclusion : perspectives d’avenir des réseaux sociaux décentralisés

    Les réseaux sociaux décentralisés sont passés en quelques années du statut de curiosité pour technophiles à celui d’alternative crédible pour le grand public. Certes, ils ne menacent pas (encore) l’hégémonie des géants comme Facebook ou X en termes de nombre d’utilisateurs, mais ils ont réussi à prouver leur pertinence. La dynamique enclenchée par Mastodon, BlueSky et consorts soulève plusieurs perspectives d’avenir intéressantes :

    • Vers une adoption mainstream ? Chaque nouvelle vague d’utilisateurs – souvent déclenchée par les faux pas d’un réseau centralisé – fait grandir la notoriété des plateformes décentralisées. On peut imaginer qu’à force de bouche-à-oreille et avec l’amélioration continue de l’expérience utilisateur, ces réseaux attirent de plus en plus de profils variés (pas seulement des geeks). L’arrivée de figures publiques (acteurs, hommes/femmes politiques, journalistes connus) sur des plateformes comme BlueSky montre que cela commence à toucher le grand public.
    • Interopérabilité et standardisation : Un des espoirs réside dans l’interopérabilité entre réseaux. Mastodon et d’autres (PixelFed pour la photo, PeerTube pour la vidéo, Lemmy pour les forums type Reddit) utilisent le protocole ouvert ActivityPub, ce qui permet en théorie à un compte sur une plateforme de suivre des comptes sur une autre (par exemple suivre un compte PixelFed depuis Mastodon). Si de grandes plateformes centralisées rejoignent cette fédération – Meta a évoqué rendre Threads compatible ActivityPub, ce qui permettrait aux utilisateurs de Threads d’interagir avec Mastodon – on assisterait peut-être à un pont entre le monde centralisé et décentralisé. Cela réduirait la fragmentation : chacun pourrait utiliser son app préférée tout en communiquant à travers un standard commun, comme pour les emails. Reste à voir si ces promesses se concrétiseront et comment les écosystèmes cohabiteront.
    • Défis à relever : Tout n’est pas rose pour autant. Les réseaux décentralisés doivent encore relever des défis majeurs pour pérenniser leur succès. L’expérience utilisateur d’abord : s’inscrire sur Mastodon en choisissant un serveur peut encore dérouter les novices (même si des efforts ont été faits pour simplifier). La modération à plus grande échelle reste un sujet délicat : comment maintenir des communautés saines sans les outils centralisés puissants ? Le financement et la stabilité technique sont aussi des enjeux, notamment si la croissance continue (héberger des millions d’utilisateurs coûte cher ; Mastodon a la chance d’être soutenu par des dons en forte hausse depuis 2022​, mais il lui faudra peut-être trouver d’autres relais). Enfin, la concurrence entre protocoles (ActivityPub vs. AT Protocol de BlueSky vs. d’autres comme Nostr) pourrait diviser les forces – à moins qu’une convergence ne se produise à terme.
    • Impact sur les réseaux traditionnels : La simple existence de ces alternatives influence déjà les acteurs historiques. Twitter/X a dû tenir compte de l’exode d’une partie de ses utilisateurs vers Mastodon, et a par exemple temporairement bloqué les liens Mastodon fin 2022 (preuve qu’il le percevait comme une menace concurrente directe). Facebook/Meta, de son côté, a pris les devants en lançant Threads pour capter ceux qui fuient Twitter, tout en annonçant son interopérabilité future avec le fediverse pour ne pas rater le coche de la décentralisation. Cette émulation pourrait pousser les réseaux traditionnels à s’améliorer ou à s’ouvrir un peu plus, ce qui serait dans tous les cas bénéfique pour les utilisateurs.

    En conclusion, les réseaux sociaux décentralisés représentent une tendance de fond qui bouscule le paysage des médias sociaux. Ils incarnent une aspiration à un Internet plus libre, où les utilisateurs reprennent du pouvoir sur les plateformes qu’ils fréquentent. Bien sûr, ils n’en sont qu’au début de leur histoire et il reste de nombreuses inconnues : gagneront-ils en popularité au point de devenir un usage courant pour Monsieur et Madame Tout-le-monde ? Resteront-ils un refuge pour les utilisateurs les plus avertis ? Vont-ils coexister pacifiquement avec les géants ou forcer ces derniers à évoluer ? L’avenir nous le dira.

    Ce qui est certain, c’est qu’ils offrent dès aujourd’hui une expérience différente qu’il vaut la peine de découvrir. Pourquoi ne pas vous faire votre propre opinion en créant un compte sur l’une de ces plateformes ? Que ce soit en rejoignant une instance Mastodon (il en existe en français, ouvertes à tous), en essayant BlueSky si vous obtenez une invitation, ou en explorant d’autres services du fediverse, vous pourriez trouver dans ces nouveaux réseaux un espace qui correspond mieux à vos attentes. N’hésitez pas à essayer l’un de ces réseaux sociaux décentralisés pour vous faire votre propre expérience – après tout, la révolution des réseaux sociaux est peut-être à portée de clic, et elle se veut plus humaine et participative que jamais. Bonne exploration !

    Sources : Les données et informations présentées proviennent de sources fiables et actualisées, reuters.comreuters.com, lemonde.fr, ​techcrunch.com​, ​theguardian.comtheguardian.com, ​cnet.com, ainsi que des rapports et statistiques publiques sur l’utilisation de ces plateformes. Toutes les statistiques d’utilisateurs mentionnées sont à jour au moment de la rédaction (2024-2025) et illustrent l’évolution rapide de ce secteur.